Connaissez-vous les larmes de sirène ? Avant l’existence du plastique, on désignait sous ce vocable les petits débris arrondis de pierre ou de verre que l’on trouvait sur les plages par exemple. De nos jours, ce sont des granulés de plastique allant de 2 mm à 1 cm et qui servent de matière première de base pour l’élaboration des plastiques industriels.
On les utilise aussi beaucoup dans les cosmétiques. C’est une catastrophe pour nos milieux naturels. On les retrouve très souvent dans les différents milieux aquatiques, que ce soit les lacs, les fleuves, les côtes maritimes, etc. Par l’érosion de l’eau et des sédiments, ils peuvent devenir quasi microscopiques. On estime à environ 200 000 granulés par kilomètre carré leur présence à la surface des eaux ou dans le fond des océans. Tous ces granulés de plastique absorbent les PCB et les hydrocarbures. Ces granulés de plastiques deviennent ainsi des poisons. De nombreux organismes vivants les ingèrent. Toute la chaîne alimentaire est touchée.
Inventé à la fin du 19e siècle, le plastique a progressivement envahi nos vies depuis les années 50. La production mondiale est passée de 1,5 million de tonnes en 1950 à 117 millions en 1990, et à 368 millions en 2019 (source : PlasticsEurope). À tel point que rares sont les objets qui n’en contiennent pas. Il faut dire que ce matériau résistant, peu coûteux et malléable à l’envi, a de nombreux avantages.
Mais la pollution plastique est une réalité (1). Et elle va bien au-delà de celle que nous constatons régulièrement sur les plages, le long des routes, à la surface des rivières… Une pollution invisible, composée de microplastiques, se retrouve dans les océans, les sols et même dans l’air que nous respirons.
Beaucoup d’animaux marins en souffrent. Les baleines, pour ne parler que d’elles, ont souvent l’estomac rempli de plastique. Elles aspirent de nombreux microdébris de plastique de moins de cinq millimètres qui s’installent dans leur organisme et peuvent causer des dégâts terribles pour leur santé. Lorsque les déchets sont plus gros, comme avec les sacs en plastique, elles se mettent à avoir du mal pour respirer, ont des occlusions intestinales, des pertes de mobilité, et même des mutations génétiques et des cancers. C’est aussi un désastre pour les tortues qui confondent les sacs plastiques avec les méduses.
En outre, Le coût économique et social du plastique serait 10 fois plus élevé que son coût de production. Sa gestion en 2019 aura coûté à la société près de 3.700 milliards de dollars selon une étude du WWF, soit l’équivalent du PIB de l’Inde.
Depuis les années 1950, l’humanité a ainsi produit plus de 8,3 milliards de tonnes de ce matériau synthétique. Les quantités sont telles que l’on en retrouve à présent partout, jusqu’au fond des océans. Tandis que nous prenons lentement conscience de l’ampleur du problème, celui-ci continue de croître chaque année lorsque de trop nombreux fragments de plastiques se retrouvent encore à la mer. Plus préoccupant encore, le plastique a le défaut de la qualité pour laquelle il est commercialisé : il ne se biodégrade pas. Une fois dans la nature, les débris de plastique se décomposent en fragments, jusqu’à former des microplastiques qui remontent les réseaux trophiques. C’est ainsi que même en éradiquant le problème des fuites de polymères, l’ubiquité du matériau sous forme de particule entrainera sa persistance sur une échelle de temps inconnue (2).
Face au plastique fabriqué à base de pétrole, des plastiques à base de matière première végétale (amidon de maïs, bagasse de canne à sucre ou encore algues) ont vu le jour. Mais sont-ils vraiment écologiques ? Avec de la matière végétale, on peut fabriquer la même molécule que la pétro-industrie : le PET (la plupart des bouteilles d’eau aujourd’hui sont fabriquées en PET clair). Le PET végétal est recyclable dans une usine classique. Pas à l’infini, mais recyclable. En revanche, ça se complique pour une autre famille de plastique : le PLA, l’acide polylactique, lui n’est pas recyclable. Cette bouteille ressemble comme deux gouttes d’eau à sa cousine en plastique à base de pétrole, sauf que dans les centres de tri, les machines à tri optique ne la reconnaissent pas. Elle est éjectée de la chaîne, et finira à l’incinération. Et mettre du PLA dans le bac jaune ne sert à rien, car cette matière n’est pas recyclable comme une bouteille classique.
En 2016, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) a publié un avis pour dire qu’elle soutenait le développement de certains polymères biosourcés, « susceptibles d’amener des réponses à certains enjeux environnementaux et économiques (hausse du prix et raréfaction des ressources fossiles, etc.) », tout en reconnaissant qu’il fallait plus d’études sur « les impacts environnementaux et sociétaux de ces plastiques, et sur l’ensemble de leur cycle de vie ». Aujourd’hui, certains de ces experts reconnaissent aussi qu’il y beaucoup de publicité mensongère autour de la notion de «biodégradable», notamment.
Pour les reconnaître il faut chercher le label « OK Home compost ». C’est le label reconnu en Europe, il est certifié par une société privée autrichienne, TUV. Ce label comprend la famille des PHA, les biopolyesther, des plastiques fabriqués grâce à des micro-organismes qui décomposent les déchets végétaux, une technique développée notamment au Brésil et en Chine. Il y a aussi les agro-polymères, dont vous vous servez sans forcément le savoir. Ce sont les petits sacs très fins (et doux au toucher) qui ont remplacé les sacs plastiques traditionnels au rayon fruits et légumes. « Ils sont composés d’un tiers d’amidon de maïs et de deux tiers de matières à base de pétrole, et pourtant ils sont compostables à domicile », précise Nathalie Gontard, chercheuse à l’INRA.
Le label « OK compost » certifie que le bioplastique peut être biodégradable à 90 % en six mois dans des conditions de compostage industriel. On attend les progrès de la recherche scientifique dans ce domaine pour pouvoir nous fournir un véritable plastique issu à 100 % de matières naturelles non comestibles : algues, déchets agricoles, herbes invasives (chardons…), qui soit moins cher que le plastique actuel et moins gourmand en ressources. Pas facile.
On l’a vu, la pollution plastique est omniprésente et a un impact fort sur la chaîne alimentaire. L’ex député François-Michel Lambert rapporte notamment que, dans le Pacifique, un poisson sur dix contient du plastique. Ce taux monte à 100% pour les poissons des grands lacs nord-américains. La pollution des sols est aussi évoquée. « L’impact du plastique sur l’environnement et notre santé ne peut pas être considéré comme non significatif », résume-t-il (4). Pour autant, il admet que « le plastique apporte des solutions ». Il entend donc aborder le sujet dans sa globalité. Il déplore en particulier que la question soit essentiellement traitée sous l’angle des emballages. Il note que la bouteille est devenue le symbole de la pollution plastique, alors qu’elle est difficilement remplaçable sans s’orienter « vers un autre modèle de société ».
Car les projections sont assez inquiétantes : le déversement annuel de déchets plastiques dans les océans pourrait tripler d’ici 2040. Si nous ne parvenons pas à reconnaître et prendre en compte le véritable coût économique et social du plastique, celui-ci risque d’augmenter dramatiquement. Selon le rapport du WWF, la production de plastiques pourrait doubler d’ici là et le déversement annuel de déchets plastiques dans les océans pourrait tripler pour atteindre 29 millions de tonnes, contre déjà 11 millions en 2019. Cela porterait le stock total de plastique dans l’océan à 600 millions de tonnes à l’horizon 2040.
Le WWF en appelle à l’adoption d’un traité mondial contre la pollution plastique (cet organisme n’a pas le mondialisme timide), tandis que la Commission européenne a dévoilé en avril 2022 ses travaux sur les restrictions massives applicables aux substances chimiques nocives omniprésentes dans les aliments, l’eau potable, les maisons et les espaces de travail. Parmi les six familles de composés organiques ciblés, on retrouve les bisphénols, les PVC (polychlorures de vinyle), les retardateurs de flamme ainsi que ceux présents dans les produits de puériculture comme les couches pour bébé. Déjà en mars 2022, l’ONU votait une résolution visant à mettre un terme à la pollution plastique lors de la cinquième réunion de l’Assemblée des Nations Unies pour l’Environnement (UNEA-5).
« La pollution plastique est devenue une épidémie. Avec la résolution d’aujourd’hui, nous sommes officiellement sur la voie d’espérer trouver un remède » a déclaré Espen Barth Eide, président de l’UNEA-5 et ministre norvégien du climat et de l’environnement. Pour cause, les chefs d’État et d’autres représentants de 175 nations ont approuvé, à Nairobi, une résolution qui porte sur l’ensemble du cycle de vie du plastique, allant de sa production, sa conception jusqu’à son élimination.
La résolution établit un comité intergouvernemental de négociation (CIN), qui commencera ses travaux en 2022 en vue d’élaborer un projet d’accord mondial juridiquement contraignant d’ici 2024. Cet instrument juridique devrait refléter « diverses alternatives pour traiter le cycle de vie complet des plastiques, la conception de produits et de matériaux réutilisables et recyclables, et la nécessité d’une collaboration internationale renforcée pour faciliter l’accès aux technologies, le renforcement des capacités et la coopération scientifique et technique », précise l’UNEA. À l’issue des travaux du CIN, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) convoquera une conférence diplomatique pour « adopter ses résultats et les ouvrir à la signature ».
En parallèle, les différentes parties prenantes seront invitées à prendre part à ce travail pour partager leurs connaissances et pratiques autour de la pollution plastique. « Le PNUE travaillera avec tous les gouvernements et les entreprises qui le souhaitent, tout au long de la chaîne de valeur, pour abandonner les plastiques à usage unique, ainsi que pour mobiliser les financements privés et supprimer les obstacles aux investissements dans la recherche et dans une nouvelle économie circulaire », commente Inger Andersen, directrice exécutive du PNUE.
Surfrider Europe, qui lutte depuis plus de 30 ans contre la pollution plastique de l’Océan, salue cette adoption du mandat de négociation et appelle « au maintien de cette ambition dans les prochains pas déterminants qui jalonneront l’adoption de cet instrument global tant attendu ».
Cette adoption est un signe fort qui ouvre la voie à l’adoption d’un traité international contraignant sur le Plastique. Nous saluons ce premier et grand pas positif. S’en suivra un long chemin de négociation pour en déterminer le contenu et la portée. Nous appelons à ce que ce traité inscrive des mesures contraignantes de réduction à la source du plastique produit et utilisé, et prévoit des moyens, notamment financiers, pour mettre en œuvre ces mesures et répondre concrètement à l’urgence de la crise plastique de notre Océan et de notre planète bleue. (5)», signale Antidia Citores, porte-parole de Surfrider Foundation Europe.
Souhaitons qu’il soit contraignant et non punitif. Cela a marché pour le trou dans la couche d’ozone.
Mais seule une innovation significative permettra de faire adopter ces mesures qui risquent d’être difficiles à accepter voire suicidaires économiquement (les bioplastiques sont bien plus chers que le plastique traditionnel). Rien que pour la France, rappelons-le, d’ici 2040, le plastique à usage unique, très polluant, sera interdit en France.
La solution viendra peut-être des algues. Par exemple, la marque Algopack (basée à Saint-Malo), conçoit déjà un plastique 100% naturel à base d’algues brunes (6). Celles-ci sont cultivées en mer bretonne, sans engrais ni pesticides. Elles sont aussi récoltées sur les plages des Caraïbes, où elles prolifèrent et dégagent un gaz toxique en se décomposant : un moyen de valoriser les algues sargasses, véritable fléau local. On en fait des barquettes alimentaires, des jetons de caddie et même des brosses à WC. Ou des jouets.
À moins que la solution ne vienne de la cellulose.
En partenariat avec plusieurs industriels, la Fondation Grenoble INP vient de lancer, une chaire d’enseignement et de recherche détenu par Julien Bras et dédiée à la conception de nouveaux matériaux à base de cellulose pour l’industrie de l’emballage. Baptisée Cellulose Valley, cette chaire est installée en Isère, à Grenoble INP-Pagora, l’école du papier, de la communication imprimée et des biomatériaux, et au Laboratoire génie des procédés papetiers (LGP2).
Les partenaires sont des acteurs de l’emballage : DS Smith Packaging France (fabricant d’emballages durables), Ahlstrom Munksjö (non tissés et papiers de spécialités), Alphaform du groupe Guillin (cellulose moulée), et Citeo (recyclage des emballages ménagers).
« Le nom de Cellulose Valley est un clin d’oeil à l’écosystème historique de Grenoble lié à la cellulose et au papier. » Julien Bras explique que cette chaire travaille sur la science de la cellulose pour proposer de nouveaux matériaux biosourcés, biodégrables, et recyclables : des alternatives aux emballages plastiques.
À suivre…
- Source : « Le paradoxe du plastique en 10 questions » (pdf), document de l’ADEME, mai 2022.
- Extrait du rapport « Stop aux pollutions plastiques », de l’ex député François-Michel Lambert (dir.), rédigé par Yann DAVID (https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-33006-rapport.pdf).
- Source : https://www.radiofrance.fr/franceinter/le-plastique-vegetal-est-il-vraiment-une-alternative-ecolo-4647959
- https://www.actu-environnement.com/ae/news/depute-Francois-Michel-Lambert-objectif-zero-plastique-petrosource-2040-33006.php4
- https://www.environnement-magazine.fr/pollutions/article/2022/03/03/138482/assemblee-des-nations-unies-pour-environnement-attaque-pollution-plastique
- www.algopack.com