Extraordinairement résistante, cette bactérie se présente comme une excellente candidate à la décontamination des déchets nucléaires. Elle a été affublée de surnoms tels que « Conan la bactérie » ou bien « la bactérie la plus résistante au monde ». Sa haute résistance a intéressé les scientifiques et aussi les industriels qui voudraient produire des bactéries génétiquement modifiées résistantes aux sols très pollués ou radioactifs pour y dégrader les solvants ou hydrocarbures notamment (1).

Les paysages désolés ont un côté zen et vivifiant lorsqu’ils sont naturels et sains. Lorsqu’ils sont naturels et sains…

Je choisis ici de rendre compte d’un article assez technique écrit par Suzanne Sommer pour le site exobiologie.fr (2).

La bactérie Deinococcus radiodurans R1 a été découverte en 1956 dans l’Oregon comme contaminant de viande « stérilisée » par exposition au rayonnement gamma ; (Anderson et al., 1956). Initialement, cette bactérie a été nommée Micrococcus radiotolerans à cause de sa morphologie similaire à celle des membres du genre Micrococcus. Les études ultérieures ont montré que cette espèce appartenait à un nouveau genre qui a été nommé Deinococcus, le préfixe grec deinos signifiant « étrange, inhabituel » (Brooks and Murray, 1981). Les Deinococcacea sont rares mais trouvées dans des environnements très variés, certaines étant particulièrement exposées à la sécheresse. Les isolats ont été le plus fréquemment obtenus après sélection par exposition à de fortes doses d’irradiation d’échantillons de terre, de sable, de produits alimentaires, d’instruments médicaux ou de textiles (Anderson et al., 1956 ; Ferreira et al., 1997 ; Hirsch et al., 2004 ; Rainey et al., 1997 ; Suresh et al., 2004 ; De Groot et al, 2005).

La bactérie Deinococcus radiodurans est surtout connue pour sa capacité exceptionnelle à surmonter l’effet létal et mutagène des agents qui endommagent l’ADN, en particulier les effets des radiations ionisantes, de la dessiccation et du rayonnement ultraviolet (Mattimore and Battista, 1996 ; Sweet and Moseley, 1974, 1976). Ces agents provoquent des dommages variés de l’ADN (oxydation de bases, cassures simples et doubles brins, dimères de pyrimidines) (Battista et al., 1999 ; Mattimore and Battista, 1996 ; Sweet and Moseley, 1974, 1976 ; Ward, 1975, 1988). La résistance de la bactérie D. radiodurans aux agents qui endommagent l’ADN n’est pas due à des mécanismes de protection de l’ADN qui empêcheraient la formation des lésions (Gerard et al., 2001), mais à une réparation particulièrement performante de ces lésions.

La viabilité de la bactérie D. radiodurans n’est pas affectée si elle est soumise à une irradiation provoquant environ 200 cassures double-brins, 3000 cassures simple-brins et plus de 1000 bases endommagées par équivalent génome (survie de 100 % pour une exposition à une dose de 6000 Gy de rayonnement) et sa survie reste très significative à des doses supérieures à 10 000 Gy. À titre de comparaison, des doses 250 fois inférieures suffisent pour stériliser la majorité des cultures bactériennes (exemple : Escherichia coli). La bactérie D. radiodurans est également très résistante à la dessiccation (Mattimore and Battista, 1996). En effet, on trouve encore plus de 80 % de cellules viables dans des cultures séchées sur une lame de verre et gardées 2 ans dans un dessiccateur rappelle Suzanne Sommer.

Parmi les lésions provoquées par les radiations ionisantes, les cassures double brins sont considérées comme les plus redoutables sur le plan génotoxique (Ward, 1988). Une absence de réparation des cassures de l’ADN aboutit à la mort cellulaire alors qu’une réparation infidèle de ces lésions va conduire à des mutations et des remaniements chromosomiques qui sont à la base du développement de tumeurs ou de maladies héréditaires chez l’homme (Little, 2000). La bactérie D. radiodurans qui est l’organisme le plus radiotolérant identifié à ce jour constitue un modèle particulièrement bien choisi pour élucider les mécanismes de réparation des cassures de l’ADN. Une analyse génétique des mécanismes intervenant dans la réparation des cassures de l’ADN est facilitée par la transformabilité naturelle de cette bactérie. De plus la séquence complète annotée de son génome a été publiée (White et al., 1999). Deinococcus radiodurans est capable de reconstituer un génome intact à partir d’une myriade de fragments engendrés par l’exposition des bactéries à des doses massives de radiations ionisantes ou par des cycles répétés de dessiccation/réhydratation.

On peut en outre lire sur la page wiki (citée en note 1) qu’une agence gouvernementale américaine est en train d’étudier ses aptitudes à dépolluer sur place des sites contaminés à la fois par des matériaux radioactifs et par d’autres polluants, organiques et minéraux. Rien qu’aux États-Unis, les experts en ont recensé 3 000, sur des lieux de production d’armes ou des centres de recherche nucléaire. Les analyses de ces sols montrent un cocktail plutôt inquiétant, où le trichloréthylène et le toluène voisinent avec de l’uranium, du plutonium et divers métaux lourds. La technique de la biodépollution fonctionne sur une idée toute simple. On cultive des bactéries qui se nourrissent du polluant concerné, le pétrole pour prendre un exemple connu. On ensemence ensuite la zone à décontaminer, et on attend que les microbes transforment le polluant organique en eau et en gaz carbonique. On connaît toute une série de micro-organismes capables de décomposer divers polluants organiques ou de fixer les métaux lourds. Ces microbes ne peuvent toutefois pas opérer en milieu radioactif. D’où l’intérêt d’étudier la bactérie insensible aux radiations. Est-elle capable de se nourrir de composés organiques complexes ? Sait-elle fixer les métaux lourds, voire les éléments radioactifs ? Selon les premières études, il semble qu’elle soit capable de décomposer le toluène et certains produits voisins. Les adeptes du génie génétique se sont également mis au travail. Leurs projets consistent à équiper Deinococcus radiodurans de gènes connus pour rendre les bactéries capables de digérer la pollution. La bactérie recombinée serait ainsi à la fois insensible aux rayons gamma et spécialiste de la dépollution. L’inverse est également envisagé : greffer les gènes de la radioprotection sur les éboueurs patentés. Deinococcus Radiodurans est également l’objet de recherches plus insolites, comme « disque dur à ADN » résistant à un éventuel holocauste nucléaire, ou comme agent nettoyant à basse température.

Dans le contexte nucléaire actuel, comme le rapporte Fabien Bouglé ci-dessous (à partir de la 39ème minute de l’interview), les déchets nucléaires provenant des centrales nucléaires actuelles – 4 000 m3 en France pour les plus nocifs – sont réutilisées par les centrales de quatrième génération. Comme le dit très bien Fabien Bouglé, « les déchets nucléaires d’aujourd’hui seront les combustibles nucléaires de demain […] Et l’Allemagne a annoncé le retour définitif des déchets nucléaires dans son pays. C’est pas un hasard ». À la sortie, les déchets seront encore considérablement réduits en volume suite à l’utilisation de ce minerai de «seconde main». Ainsi, la bactérie Deinococcus Radiodurans, compte tenu de la taille sans cesse réduite des déchets nucléaires, pourrait bien être effectivement un allié très précieux pour les rendre inoffensifs.

Par ailleurs, certains laboratoires scientifiques souhaitent créer des bactéries transgéniques rendues plus résistantes (par intégration de gènes de D. radiodurans) pour produire du méthane ou des « biocarburants de seconde génération ». En 2008, un brevet était déjà déposé pour la production de « biocarburants » (à partir de déchets agricoles et sylvicoles) et un autre visant des usages médicaux.

  1. https://fr.wikipedia.org/wiki/Deinococcus_radiodurans
  2. L’article complet accompagné de beaucoup de références se trouve ici : http://www.exobiologie.fr/index.php/vulgarisation/biologie-vulgarisation/deinococcus-radiodurans-une-bacterie-resistante-aux-radiations-et-a-la-dessication/
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