La désalinisation de l’eau de mer est une pratique qui se répand dans le monde. Cette technologie encore peu développée il y a un quart de siècle représente aujourd’hui 18 000 usines produisant 21 milliards de m3 d’eau potable.

En attendant de trouver une solution chimique désarmante de simplicité et totalement respectueuse de l’environnement, la fortune souriant aux audacieux, une entreprise australienne, Carnegie Wage Energy, se dit capable de séparer l’eau du sel sans recourir à aucune autre source extérieure grâce à l’énergie houlomotrice (1). Leur projet se nomme CETO, du nom de la divinité grecque. Et de rendre l’île de Garden Island, où elle est installée, autosuffisante en eau potable, mais aussi en électricité. Le projet (CETO 5) a produit sans incident notoire de l’électricité et de l’eau douce pendant 12 mois pour le ministère australien de la Défense afin d’approvisionner la plus grande base navale d’Australie, HMAS Stirling, située sur Garden Island.

Carnegie Wave a fait du projet australien une vitrine et surtout une opportunité pour valider les bases de sa technologie. La technologie s’est d’ailleurs exportée. CETO Wave Energy Ireland (CWEI) a ainsi remporté un contrat en décembre 2021 pour la phase 1 du programme d’approvisionnement pré-commercial (PCP) d’EuropeWave. Le programme compare les technologies de développeurs concurrents et se termine par un déploiement océanique en phase 3 sur un site de test en Écosse (EMEC) ou en Espagne (BIMEP). L’équipe de CWEI, avec le soutien de Carnegie, entreprend le travail pour démontrer les performances de CETO et optimiser CETO pour les conditions du site concerné.

Les pays pratiquant la désalinisation de l’eau de mer restent certes peu nombreux, mais n’ayant pour l’instant d’autre choix que d’opérer à grand renfort d’hydrocarbures (à l’image de l’Arabie Saoudite), certains pourraient décider d’investir dans cette brèche 100 % renouvelable si elle devient compétitive.

Au Canada, l’Université de Sherbrooke travaille également sur un projet exploitant l’énergie houlomotrice, le projet Odyssée (2). Décidément la Grèce inspire les chercheurs.

Petit rappel des enjeux. L’accès à l’eau potable est un problème criant dans plusieurs régions du monde : on estime que 2 milliards de personnes n’ont pas suffisamment d’eau de consommation chaque jour. Paradoxalement, 60 % de la population mondiale vit près de l’eau, à moins de 20 km de l’océan ou de la mer. Et s’il était plus facile de dessaler l’eau de mer pour fournir de l’eau potable ?

À première vue, l’idée de dessaler l’eau de mer peut sembler relativement simple. On peut même se demander pourquoi elle n’est pas davantage exploitée. « Il existe plusieurs brevets déposés qui se rapprochent de notre projet, ou qui évoquent certaines idées de manière plus large. Toutefois, sur le terrain, que ce soit en Afrique ou en Californie, les solutions proposées sont souvent des systèmes assez imposants et complexes, qui se révèlent très coûteux », relate Renaud Lafortune, directeur technique du projet d’étude Odyssée.

Aussi, ce sont des technologies très énergivores, qui nécessitent dans certains cas des ressources non renouvelables, comme l’essence, le charbon ou le gaz naturel », explique Dragan Tutic, fondateur et coordonnateur du projet.

Semblant moins avancé que le projet australien en termes industriels, ce projet paraît davantage philanthropique. Leur dispositif est flottant et ne bénéficie apparemment pas de financement important. De fait, il n’a pas eu de prolongements notoires à notre connaissance.

Parmi les autres techniques de désalinisation, la ville de Yokohama au Japon a présenté en juin 2009 un camion équipé d’un dispositif à membrane à osmose inverse (3) capable de dessaler de l’eau de mer ou de rendre potable de l’eau douce issue d’une rivière ou d’un lac. L’eau douce est épurée 15 fois plus vite qu’avec l’ozone, par des microbes (les mêmes que ceux qui produisent le nattô, haricots fermentés très appréciés au Japon). Un traitement au chlore et à l’ozone conclut le processus. L’énergie nécessaire au dessalement est entièrement fournie par une petite éolienne et des panneaux solaires qui alimentent aussi des batteries permettant une autonomie de 24 heures. 3 litres d’eau de mer fournissent un litre potable. Le camion peut fournir de l’eau à 3 500 personnes par jour. La saumure peut être utilisée pour la thalassothérapie ou pour des usages alimentaires.

En 2015, une équipe d’ingénieurs du MIT (Massachusetts Institute of Technology) ont mis au point une usine mobile de dessalement fonctionnant entièrement grâce à des panneaux solaires. Plus efficace que les précédents modèles, elle est aussi moins chère.

La désalinisation ouvre des perspectives économiques importantes à travers le monde. C’est un enjeu crucial pour le monde à venir. Citons l’exemple de l’usine de Carboneras, située sur la côte est de l’Andalousie, dont la production quotidienne a été multipliée par 6 depuis son ouverture passant de 20 000 à 120 000 m3 d’eau. Outre l’alimentation en eau potable de 700 000 personnes (auxquelles s’ajoutent de nombreux touristes), elle a permis le développement de la production maraîchère intensive (4). Mais à Almeria ce modèle est une impasse pour la région, il faut regarder la vérité en face. Depuis le nouveau millénaire, la surface des serres de la région d’Almeria est passée de quelques 30 000 à environ 40 000 ha, grignotant à coups de bulldozer les collines et montagnes avoisinantes et empiétant — en toute illégalité — sur le territoire du Parc naturel, d’importance européenne, du Cabo de Gata. Avec environ 18 000 unités, le nombre de producteurs reste relativement stable. Ce sont principalement des petits propriétaires-producteurs (2 à 5 ha). En raison d’une concurrence de plus en plus vive, les systèmes de serres deviennent plus sophistiqués, donc plus chers, d’où un endettement plus important et une vulnérabilité plus grande. Les petits producteurs de fruits et légumes se voient étranglés par des coûts de production de plus en plus élevés : désalinisation de l’eau, cultures hors-sol, etc. Ces petits producteurs sont donc confrontés aux exigences des financiers et fortement endettés. Pour les producteurs de fraises de la région de Huelva, les semis, plantons et techniques de production dépendent des filières californiennes, évidemment avec une redevance de royalties. La production de légumes sous serres à Almería dépend, elle, principalement de la Hollande. Ce modèle de développement est donc aujourd’hui en crise : la spéculation foncière, après s’être envolée pendant plusieurs années, se dégonfle et l’activité immobilière tend vers la faillite. La commercialisation des fruits et légumes est en main de grands distributeurs internationaux et nationaux qui dictent leurs conditions.

Il y a un monde entre le libéralisme et le néocapitalisme. L’un est le remède. L’autre est le poison mortel. Le monde du néocapitalisme choisit ses investissements seulement en vertu des dividendes escomptés et n’a pas d’état d’âme. Une majeure partie de la main-d’œuvre est composée d’immigrés clandestins. Leur statut illégal les rend corvéables et malléables à souhait : paiement partiel du salaire, insuffisance voire absence d’une couverture sociale digne de ce nom, travail journalier sélectif et sur appel, irrespect de la personnalité, racisme ouvert, tracasseries multiples et répétées. Sans parler des conditions de logement déplorables et trop souvent scandaleuses, auxquelles s’ajoutent les nombreux accidents de travail dus à l’utilisation inadéquate des produits phytosanitaires. La loi de l’offre et de la demande ne joue manifestement pas en faveur de ces innombrables ouvriers d’origines diverses, majoritairement marocains. Les pays de l’Est sont également bien représentés, de même que les pays subsahariens et ceux d’Amérique latine. Leur nombre ? Une règle généralement admise dit qu’il faut deux personnes par hectare de serre. La surface des cultures sous abri de la région étant évaluée à environ 40 000 ha, le calcul est facile à faire… Dans le contexte de ce type d’agriculture industrielle, les atteintes à l’environnement sont quasiment inéluctables. La pollution due à l’utilisation d’engrais et de produits phytosanitaires atteint des sommets critiques. El Ejido en est la preuve éclatante. Sachant que les légumes produits contiennent au moins 95 % d’eau et que le volume des légumes exportés de la région d’Almeria s’élève entre 2,8 et 3 millions de tonnes par saison, ce ne sont pas moins de 2,6 à 2,8 millions de tonnes d’eau (potable) qui se baladent sur les routes européennes durant chaque saison… en polluant allègrement l’air. Or, les nappes phréatiques s’épuisent, même à 1 500 m de profondeur ! La sécurité sanitaire alimentaire doit aussi être évoquée. Il y a peu de temps, des laboratoires allemands ont mis à jour des résidus de pesticides interdits dans des légumes provenant de la région d’Almeria. Puis, ce fut le tour du Royaume-Uni, de la Finlande et de la Hongrie. Grand tollé international ! Du coup, les milieux économiques d’El Ejido misent sur l’agriculture biologique. Déjà quelque 200 producteurs ont converti près de 700 ha à ce mode de production. Mais a-t-il un futur ? Et surtout, est-ce sensé de produire des tomates et autres légumes, puis de les transporter sur des milliers de kilomètres pour les étaler enfin sur les comptoirs de la grande distribution du nord de l’Europe ? Fruits et légumes bio, mais non écologiques et encore moins produits dans des conditions de travail et salariales convenables pour les ouvriers et ouvrières agricoles (5). Les consommateurs et consommatrices devront tôt ou tard se prononcer.

La désalinisation de l’eau de mer a un prix non négligeable dans ces conditions. On le voit, ces technologies ne s’utilisent pas ex nihilo, le contexte socio-économique est important, voire vital. Certaines régions, notamment les îles Canaries, dépendent même totalement de ces technologies pour leur eau potable. Il est donc évidemment préférable de s’efforcer si possible de maîtriser les divers enjeux pour les populations et leur environnement. En France, seules de petites unités facilitent localement l’approvisionnement en eau potable : on peut citer les exemples de Belle-île, l’Île de Sein et le port de Rogliano dans le Cap Corse.

La solution CETO possède aussi l’avantage d’éviter les problèmes de pollution qui peuvent découler des usines de dessalement, comme par exemple le rejet de saumure provoquant une couche dense hypersalée au fond de la mer. Voyez sur le dessin ci-dessous pour une illustration de ce phénomène.

La forte salinité des eaux de rejets est à l’origine des principaux impacts des usines de dessalement sur les écosystèmes marins. Le rejet de saumure dans la mer aboutit en effet à la formation d’un système stratifié de couches de plus en plus salées en allant vers le fond, ce qui diminue les brassages entre eau de fond et eau de surface. Dans certains cas et en fonction des courants marins locaux, 40 % de la zone environnante est recouverte de sel (UNEP, 2003). Ceci est le cas pour le procédé à osmose inverse.

La forte salinité des eaux de rejets est ainsi à l’origine des principaux impacts des usines de dessalement sur les écosystèmes marins. Le rejet de saumure dans la mer aboutit en effet à la formation d’un système stratifié de couches de plus en plus salées en allant vers le fond, ce qui diminue les brassages entre eau de fond et eau de surface.

Pour les usines à procédé thermique, on observe une augmentation de la température de la mer, nuisible aux écosystèmes. Il y aussi tout un tas de produits chimiques déversés dans la mer : javel, chlore, sels de cuivre, polyglycols alkylés, acides gras, esters d’acide gras, chlorure ferrique, chlorure d’aluminium, hexamétaphosphate de sodium, polymères de l’acide maléique, acide sulfurique, acide chlorhydrique, chaux, métaux lourds dont cuivre, fer, nickel…

Le dessalement en Méditerranée – Source : larecherche.fr, 2008

En attendant de trouver une solution chimique désarmante de simplicité, écrivais-je en début d’article. C’était en 2014. Aujourd’hui, soit huit ans plus tard, de nouvelles solutions ont été proposées. Et elles semblent très bien se rapprocher de l’alliance magique entre grande simplicité et grande efficacité.

Il s’agit peut-être d’utiliser le soleil. Tout simplement. L’entreprise Mascara Nouvelles Technologies a créé une machine capable de produire de l’eau douce à partir d’eau de mer grâce à la seule énergie solaire. Développée par Marc Vergnet et Maxime Haudebourg, cette machine, baptisée Osmosun, suscite beaucoup d’intérêt notamment de la part de pays dépourvus de ressources en eau (6). C’est une première mondiale. Avec le développement d’Osmosun, Mascara a donc imaginé une solution photovoltaïque de dessalement de l’eau de mer, par osmose inverse et sans rejet de CO2. Accessible et peu gourmand en énergie, ce système est capable de s’adapter à l’ensoleillement et fonctionne sans batterie.

Intégrée au gigantesque projet solaire Mohammed bin Rashid Al Maktoum Solar Park (5 000 MW déployés à l’issue de la dernière phase en 2030). Opérationnelle vingt-quatre heures sur vingt-quatre, cette usine traite aujourd’hui 50 min 3 s/jours, volume incomparable avec ceux traités par les plus grandes usines au monde comme celle de Sorek en Israël (opérationnelle depuis 2013) qui purifie quotidiennement 627 000 mètres cubes d’eau de mer. En revanche, l’association « photovoltaïque-dessalement » pourrait se déployer à plus grande échelle très rapidement. Au premier trimestre 2015, le groupement saoudien Advanced Water Technology a signé un contrat de construction pour la centrale de Al-Khafji en Arabie Saoudite. Opérationnelle en 2017, cette usine sera la première centrale de dessalement de grande taille (60 500 m3/jours) alimentée par énergie photovoltaïque durant les heures de charge maximale.

Selon l’OCDE, 3,9 milliards de personnes subiront le stress hydrique d’ici à 2040. Plus de la moitié de l’humanité. Une situation qui concerne donc tout le monde, conséquence directe d’un changement climatique qui pourrait causer aridité et montée des eaux et donner lieu à de nombreuses migrations climatiques. C’est cette menace qui a conduit à l’adoption le 5 décembre 2015 pendant la COP21 de l’initiative climat « Global Clean Water Desalination Alliance H2O minus CO2 » avec des objectifs ambitieux de contribution des énergies renouvelables aux consommations énergétiques du dessalement.

Avec Osmosun, le débit de l’eau passant dans les membranes et la pression de fonctionnement varient ensemble. Quand il n’y a pas de soleil, l’unité s’arrête. La nuit, les membranes restent plongées dans de l’eau douce pour éviter qu’elles ne se détériorent. Dès le premier rayonnement solaire, les pompes redémarrent et leur puissance va varier tout au long de la journée au gré du grand soleil et du passage des nuages. « C’est une machine qui respire » s’émerveille Marc Vergnet. Sa consommation énergétique est de 2,5 kWh par m3 et le coût de production visé est de 1,5 euro par m3 soit 50 % de moins que les systèmes traditionnels. « A part l’électronique nécessaire à la transformation du courant continu en courant alternatif, il n’y a rien de fragile et tout le procédé est encapsulé dans une unité pilote d’une surface de 180 m² pour une production de 40 min 3 s par jour », précise-t-il.

Un premier démonstrateur d’Osmosun a été inauguré à Ghantoot (Abou Dhabi), en octobre 2016, dans le cadre du salon WETEX (Water, Energy, Technology and Environment Exhibition). Il a enthousiasmé les dirigeants d’Abu Dhabi qui viennent de décider de l’installation d’une unité en condition réelle de fonctionnement sur le site de la ville nouvelle de Masdar qui ambitionne de ne pas émettre de CO2. Au-delà, Marc Vergnet vise le marché des petites villes des pays les moins avancés souffrant du manque d’eau. Des unités de 1000 m3/jour pourraient représenter un marché de 60 millions d’euros dès 2023.

Lancée le 30 novembre 2016, « l’Alliance solaire » portée par le Premier ministre indien Narendra Modi veut fédérer les États situés entre tropiques du Cancer et du Capricorne qui bénéficient d’un fort ensoleillement (7). Cette coopération « sud-sud » veut augmenter les investissements dans le solaire tant pour l’électrification des zones rurales trop éloignées des réseaux électriques — un mouvement en cours depuis 20 ans, mais encore trop lent — que pour la production de grandes centrales solaires à concentration comme celle de Ouarzazate au Maroc. Les productions autonomes de chaleur, de froid, de désinfection, de stérilisation, de pompage des eaux souterraines, de communications sont également visées. Et la liste n’oublie pas le dessalement de l’eau de mer…

  1. https://www.carnegiece.com
  2. https://www.usherbrooke.ca/actualites/nouvelles/details/22455
  3. Voir ici pour un éventail des techniques : http://fr.wikipedia.org/wiki/Dessalement
  4. https://ecotoxicologie.fr/impacts-dessalement-eau-mer
  5. source : http://www.agrisodu.ch
  6. https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/developpement-durable/solution-cop21-dessaler-l-eau-de-mer-sans-emettre-de-gaz-a-effet-de-serre_17699
  7. L’Alliance solaire internationale est une initiative lancée par l’Inde et la France lors de la COP21 qui vise à « augmenter de manière significative la production d’électricité solaire » dans les 121 pays situés en totalité ou en partie entre les tropiques du Cancer et du Capricorne.
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