Se nourrir, se chauffer, produire de l’électricité, les algues et microalgues prennent la bonne direction pour pallier à une certaine anémie énergétique, pour ne pas parler d’anomie environnementale. Leur accumulation de matière végétale, par photosynthèse, est phénoménale, et elles stockent une grande quantité d’huiles et des sucres divers à partir desquels peuvent être élaborés du biodiesel et du bioéthanol. En outre, elles permettent de recycler du CO2 industriel et des résidus d’engrais, nitrates ou phosphates, qui dopent leur croissance.

Dès l’Antiquité, elle furent utilisées comme engrais, puis incorporées sous forme de cendres dans la fabrication du verre au XVIe siècle. Les algues sont aujourd’hui produites à 97 % à des fins alimentaires. Par exemple, prenons la spiruline, qui est bien connue pour prévenir l’anémie avec ses fortes concentrations en protéine, fer et bêta-carotène (30 fois plus que la carotte). Sur les dizaines de milliers d’espèces d’algues connues dans le monde, seules quelques dizaines sont exploitées commercialement. Parmi elles, les algues carraghénophytes, également appelées chondrus ou lichens d’Irlande, sont utilisées comme gélifiants, épaississants ou stabilisants par les industries agroalimentaire, pharmaceutique et cosmétique.

La production de ces algues rouges, avec 5,2 millions de tonnes en 2008, représente un peu plus d’un quart de la culture et de la collecte des algues dans le monde. En Extrême-Orient, la culture de ce type d’algues représente une source de revenus intéressante pour les populations côtières. Les boutures d’algues sont fixées sur des cordages immergés, tendus entre des pieux, suivant le courant principal. Toutes espèces d’algues confondues (vertes, rouges et brunes), l’Indonésie avec 13,7 % de la production mondiale (en 2008) se place au deuxième rang des producteurs, un marché dominé par la Chine (62,8 % de la production mondiale), devant les Philippines (10,6 %), la Corée du Sud (5,9 %) et le Japon (2,9 %). En revanche, en chiffre d’affaires, le Japon reste au second rang mondial derrière la Chine, à cause de sa production de Nori (Porphyra spp.), une algue de grande valeur qui entre dans la composition des makizushi, ces rouleaux d’algues séchées entourant du riz et farcis de poisson cru.

Revenons un peu sur les microalgues. Ce sont des organismes microscopiques riches en lipides, une matière organique qui peut être utilisée pour produire de l’énergie. Elles permettent de produire de l’énergie biomasse sous plusieurs formes : hydrogène, carburant, biogaz… Elles peuvent en effet permettre de produire de l’électricité grâce au processus de méthanisation : les microalgues fermentent dans un digesteur chauffé et privé d’oxygène. Le biogaz ainsi produit contient entre 70 et 80 % de méthane. Ce processus de méthanisation peut être combiné à l’activité d’une centrale thermique : la croissance des algues est favorisée par la chaleur de la centrale. D’autre part, les microalgues permettent d’absorber une partie du CO2 émis par l’unité thermique.

Les microalgues sont cultivées en eau de mer ou en eau douce, selon les espèces. Elles peuvent être cultivées dans des bassins à ciel ouvert ou dans des tubes transparents. Leur culture ne nécessite pas de surface terrestre exploitable. Elles n’empiètent donc pas sur les espaces cultivables. Les microalgues se développent par photosynthèse. Elles absorbent du CO2, ce qui permet donc aussi de lutter contre l’effet de serre. Il existe d’ailleurs des études sur la possibilité d’utiliser les microalgues comme filtres pour traiter les fumées polluantes issues de l’activité industrielle. Mais la production énergétique à partir des microalgues doit encore être perfectionnée avant d’être utilisable à grande échelle. Il est notamment nécessaire d’optimiser le rendement et de réduire les coûts de production. En outre, la sélection des espèces d’algues les plus adaptées est décisive. Un travail de longue haleine sachant que selon l’IFREMER, il existe entre 200.000 et 1 million d’espèces d’algues dans le monde…

Certains pays, dont la France, ont lancé des programmes architecturaux valorisant la capacité des algues à chauffer des bâtiments. En cultivant des microalgues dans des « photoréacteurs » installés sur les façades, puis en les transformant en énergie, le procédé permet selon SymBio2 de réduire « de plus de 50 % les consommations de chauffage et rafraîchissement par rapport à un bâtiment standard » répondant à la toute nouvelle réglementation thermique française, la RT 2012. On peut commencer à rêver de projets importants telle que la nouvelle tour Montparnasse (représentation ci-dessous).

Côté technique, dans les usines, des appareils automatiques déterminent la concentration en algues, le pH et d’autres indicateurs. Lorsque la population atteint la limite prévue, 25 à 30 % du bassin est prélevé et un volume égal d’eaux usées y est injecté. Un système de « flottation », à microbulles, sépare les algues de l’eau par un procédé venu des États-Unis et mis au point par OriginOil. Cette eau, qui a la qualité « eau de pluie », peut être réutilisée dans le circuit d’eau grise. Les algues sont ensuite traitées, pour deux utilisations possibles : la fabrication d’huile et la récupération de la biomasse elle-même. L’huile peut servir de carburant à une génératrice à moteur diesel qui produira de l’électricité et de la chaleur. La biomasse peut elle aussi être utilisée pour fabriquer un carburant, type essence ou gasoil.

Dans les installations importantes, on peut brûler cette biomasse pour alimenter des petites turbines à vapeur pour produire de l’électricité, ajoute Jean-Louis Kindler, directeur scientifique chez Ennesys, start-up créée en 2010. Dans ce cas, on peut aussi se servir de la température élevée de l’eau pour faire du froid avec une pompe à chaleur. Et sous nos latitudes, dans un bâtiment bien isolé, on a surtout besoin de froid.

D’après ce responsable, une telle installation peut produire 2 MW avec 15 000 m2 de façades équipées, ce qui permet de subvenir aux besoins d’un bâtiment professionnel de 50 000 m2. Le tout nécessite, en plus des photobioréacteurs, un local technique de 150 à 300 m2 selon la taille du bâtiment.

Signe des temps, cela nous amène directement à la notion d’indépendance énergétique. L’enjeu est clairement établi sur l’île de la Réunion par exemple. Fortement engagée sur la voie du développement durable afin de trouver des solutions alternatives à l’utilisation des ressources fossiles, la Réunion s’est fixé comme objectif l’autonomie énergétique à l’horizon 2030. Bioalgostral, (une start-up réunionnaise qui exploite les microalgues depuis 2008 pour alimenter notamment les marchés cosmétiques et pharmaceutiques), aurait trouvé une solution pour fabriquer des biocarburants de troisième génération à faible coût à l’aide des déchets présents dans l’eau et dans l’air. Le biocarburant que l’entreprise produit pourra peut-être apporter une indépendance énergétique à l’île de La Réunion d’ici 2030.

Les avantages du projet sont nombreux et le climat réunionnais se révèle particulièrement favorable au développement des algues grâce à son niveau d’ensoleillement élevé. Dans les unités de la production de la start-up, les algues sont cultivées dans des photobioréacteurs en verre fournis par l’entreprise allemande IGV Biotech. En guise de nutriments « traditionnels », Bioalgostral utilise, comme Ennesys, des eaux usées et le CO2 émis par les boues de la station d’épuration de la commune de Sainte-Rose. Bioalgostral récupère les nitrates et les phosphates présents dans les eaux de la station et les injecte dans les photobioréacteurs pour favoriser la croissance des algues.

La société japonaise Euglena développe aussi des biocarburants à base de microalgues. Elle a d’ailleurs, en 2017, signé un partenariat avec le constructeur automobile nippon Isuzu, spécialisé dans les utilitaires (ce partenariat ne semble pas avoir connu par la suite un important développement). Vous ne roulez pas en van ou en mini-camion ? Pas grave : leur projet, baptisé DeuSEL, vise à industrialiser la production de véhicules roulant avec du biodiesel à base d’algues, moins coûteux à produire que ceux à base de colza ou d’autres plantes. Et les tests sont déjà en cours : la navette qui relie l’usine Isuzu de Fujisawa à la station de train la plus proche roule déjà au DeuSEL.

Il y a aussi des projets de bitume sans pétrole. Une équipe de recherche du GEPEA, à Saint-Nazaire, et du CEISAM, à Nantes, pilote actuellement avec l’Ifstarr un projet innovant destiné à utiliser la biomasse microalgale pour fabriquer du biobitume capable de remplacer notre bitume actuel. On reproduit ce qui se passe sous l’écorce terrestre. On compresse sous très forte chaleur une biomasse qui est un résidu de microalgues, vulgarise Emmanuel Chailleux (Ifstarr). On obtient ainsi du bitume sans utiliser de pétrole. Reste que pour l’instant, on ne fabrique des routes vertes qu’en laboratoire. « Il nous faut encore bien comprendre le procédé, savoir quoi faire des déchets issus de la transformation et réussir à envisager une phase industrielle », poursuit le chercheur nantais.

Organisé tous les 4 ans, le Symposium international sur les Algues (ISS) est LE carrefour incontournable pour tous les acteurs mondiaux du secteur. Le prochain aura lieu en Australie en 2023.

Il eut lieu à Bali en 2013. C’est aussi à Bali que les quelque 7000 habitants de l’île de Nusa Lembongan vivent de l’Eucheuma, une algue marine prisée par le secteur alimentaire et cosmétique qui pousse dans une eau limpide peu profonde et très riche en planctons. Fusion parfaite entre désir de développement et profond respect pour une nature débonnaire, ce peuple insulaire a installé durablement une micro gouvernance économique au sein du vaste archipel indonésien.

Les algues brunes marines possèdent des composés chimiques aromatiques (composés phénoliques) uniques dans le monde végétal, nommés phlorotannins. Du fait de leur rôle d’antioxydants naturels, ces composés suscitent beaucoup d’intérêt pour la prévention et le traitement du cancer, des maladies inflammatoires, cardiovasculaires et neurodégénératives. Pour les sceptiques, on voit bien qu’on est ici quand même loin de l’« algue tueuse » (Caulerpa taxifolia), algue verte tropicale échappée accidentellement du musée océanographique de Monaco et devenue depuis quelques années envahissante en mer Méditerranée au détriment de la végétation autochtone, entre autres les herbiers de posidonie.

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