La crise de l’énergie a mis en évidence, dans les années 1970, la nécessité de diversifier l’approvisionnement énergétique. La géothermie est susceptible d’y contribuer dans un grand nombre de pays, de manière plus ou moins significative selon les ressources et la demande. En effet, selon les cas, la géothermie peut faire l’objet de petites installations – de quelques mégawatts – assurant le ravitaillement direct en chaleur, en énergie mécanique ou électrique de communautés autonomes, comme d’installations plus vastes (dépassant la centaine de mégawatts) pour l’alimentation d’un réseau électrique interconnecté.

Pour cet article, je me base essentiellement sur un texte de Jacques Varet (1), volcanologue et président de l’association des services géologiques européens (Eurogeosurveys) en 1999 puis en 2005. Il a notamment présidé le conseil scientifique du Parc National des Cévennes, conseillé la société Electerre et enseigné la géothermie au Kenya.

La géothermie est une énergie prédictible, la seule à exploiter un flux véritablement terrestre, et à permettre une production stable indépendante des fluctuations atmosphériques et climatiques.

Depuis 2005, c’est l’augmentation du prix des énergies fossiles – et plus généralement de l’ensemble de l’énergie – qui suscite à nouveau l’intérêt pour le développement de l’énergie géothermique. Il faut dire que, à la différence des autres renouvelables, la géothermie n’est pas portée par des lobbies industriels propres. En effet, les divers composants des installations géothermique, qu’il s’agisse des forages, des tubages, ou des centrales thermiques et thermoélectrique, sont disponibles sur le marché et constituent plutôt des sous-ensembles de systèmes de productions développés pour d’autres productions (pétrole, gaz, électricité thermique…). Plus récemment, les risques liés à l’industrie nucléaire, notamment dans les régions géodynamiques actives (celles-là mêmes qui disposent de ressources géothermiques exceptionnelles) amènent à revoir les choix énergétiques antérieurs, avec un regard plus favorable pour ces énergies renouvelables trop longtemps négligées.

Abstraction faite des variations thermiques superficielles, d’origine climatique, qui affectent, selon leur périodicité, quelques mètres ou quelques dizaines de mètres d’épaisseur, on sait depuis longtemps que la température du sol augmente progressivement avec la profondeur : c’est le gradient géothermique.

Le degré géothermique est la distance verticale à franchir pour que la température s’élève d’un degré Celsius. Il est en moyenne de 30 mètres en France métropolitaine. Le flux géothermique, quantité d’énergie dégagée par la terre par unité de surface, est fonction du gradient et de la conductibilité thermique des roches traversées.

Il n’est pas possible d’obtenir, par extrapolation de ce qui est mesurable au voisinage de la surface, un profil thermique crédible pour les grandes profondeurs. Mais on peut s’en faire indirectement une idée à partir de la résistivité électrique, qui diminue dans les roches avec la température. Le comportement des ondes sismiques montre que le manteau a une rigidité caractéristique d’un solide, avec un comportement pâteux de viscosité élevée. Selon les modèles satisfaisant ces conditions, on retient aujourd’hui que la température moyenne est de 1300°C à 100 km de profondeur. Ce fort contraste de température avec la surface de la Terre, et le changement de densité qui en résulte explique, outre le flux thermique, la force motrice des mouvements des plaques terrestres. L’énergie disponible au niveau du manteau est simplement trop grande pour autoriser l’immobilité. Il en résulte une circulation en boucle avec des courants ascendants et descendants reliés par des mouvements horizontaux responsables des mouvements des plaques. Aux mouvements ascendants du manteau correspondent des mouvements divergents des plaques (zones de rift ou d’accrétion). Aux mouvements descendants du manteau correspondent les frontières de plaques convergentes et la subduction (les arcs insulaires, les chaînes de montagnes et les cordillères). La planète se décompose ainsi en « plaques tectoniques », qui sont amincies dans les zones divergentes océaniques et épaissies dans les zones convergentes continentales.

Le flux géothermique moyen est généralement beaucoup trop faible (quelques centaines de KW par Km2) pour être utilisé directement. Par contre, la croûte terrestre a l’immense avantage de stocker la chaleur en abondance. On peut dès lors utiliser ce stock thermique et non plus seulement le flux, et ce, pratiquement en tout point du globe.

Sous le nom d’« énergie géothermique », on exploite, selon différentes modalités, la chaleur sensible de masses rocheuses par l’intermédiaire d’une circulation d’eau à l’état liquide ou de vapeur. Nous avons vu que, selon les régions, le gradient géothermique varie considérablement : de quelques degrés à quelques dizaines de degrés par cent mètres. De même, le flux de chaleur varie de quelques dizaines à quelques centaines de milliwatts par mètre carré. Ramené à la surface de la France, on peut calculer qu’il équivaut à 20 millions de tonnes équivalent pétrole (tep) par an. En termes de flux, on estime la puissance géothermique de la Terre à 30 milliards de kilowatts. Et en termes de stock, les réserves en calories des deux premiers kilomètres de la croûte terrestre sont plusieurs milliers de fois supérieures à celles des combustibles fossiles. Reste que l’exploitation de ces ressources n’est techniquement possible aujourd’hui à un coût acceptable que si un autre paramètre est satisfait : la présence d’eau permettant d’extraire la chaleur. De ce fait, la géothermie ne présente d’intérêt économique que dans des situations géologiques particulières, auxquelles doivent s’ajouter des conditions de surface favorables. Ces difficultés expliquent en partie la part relativement modeste de la géothermie dans le bilan énergétique mondial (moins d’un pour cent) : près de 11 000 MW électriques installés en 2010 et deux fois plus de mégawatts thermiques pour usage direct de la chaleur.

La géothermie est-elle une source d’énergie renouvelable ? Cela dépend de la quantité d’énergie extraite du sous-sol dans une opération relativement à la capacité de renouvellement naturel de la chaleur. Dans les sites conductifs à gradient normal, ce n’est pas une forme d’exploitation renouvelable compte tenu de la puissance unitaire des installations, supérieure à celle découlant du flux de chaleur géothermique. Par contre, les zones exploitables en sous-sol étant nombreuses, il sera possible de déplacer en profondeur la zone de production pour poursuivre l’exploitation au-delà de la « durée de vie » du premier site. Et dans la mesure où, globalement, le flux terrestre dépasse les besoins énergétiques de l’humanité, et que la chaleur stockée dans la croûte est encore bien supérieure, les perspectives d’épuisement du potentiel géothermique terrestre sont hors d’atteinte. Soulignons d’ailleurs que dans les gisements de haute température (sites convectifs), la source de chaleur, qui peut atteindre ou dépasser le MW par Km2, peut être assez puissante pour équilibrer l’exploitation (de l’ordre de quelques MW par puits, soit même ordre de grandeur). Même localement, l’exploitation est alors renouvelable.

Un projet géothermique consiste à exploiter la chaleur contenue dans une masse rocheuse au moyen d’un fluide caloporteur (de l’eau plus ou moins chargée en gaz et en sels dissous). Le plus souvent, le fluide utilisé est celui-là même qui est contenu dans la roche du gisement. Ainsi, la démarche du géothermicien consiste-t-elle à rechercher des zones présentant à la fois un gradient géothermique et une transmissivité élevée.

Dans les régions volcaniques, le magma peut fournir une source de chaleur importante à proximité de la surface et induire par hydrothermalisme la formation d’un réservoir et d’une couverture favorables à l’exploitation d’un gisement. L’eau profonde peut être portée à des températures de plusieurs centaines de degrés. Lorsqu’elle est atteinte par forage, cette eau se vaporise et l’énergie peut alors être captée pour la production d’électricité. Plusieurs milliers de mégawatts géothermiques sont actuellement produits de par le monde, principalement aux États-Unis, en Asie du SE et en Italie. En France, cette possibilité d’exploitation existe aux Antilles, à la Réunion et dans le Massif central, mais elle n’a été prouvée à ce jour qu’à la Guadeloupe. En 2009, un forage réalisé près de la centrale géothermique islandaise de Krafla a atteint une poche magmatique. Depuis, et durant deux ans, de l’eau surchauffée (température de plus de 450 °C) a été utilisée pour produire de l’électricité verte avec efficacité. Détail intéressant, le magma atteint présente une température comprise entre 900 et 1.000 °C, ce qui a attisé l’intérêt des chercheurs. Quatre ans plus tard, une édition complète de la revue Geothermics vient d’être dédiée, sous la direction de Wilfred Elders de l’université de Californie à Riverside (États-Unis), aux retombées scientifiques et industrielles de cette découverte. Selon lui :

le succès de ce forage et des projets de recherche pourrait révolutionner l’efficacité énergétique des zones géothermiques à hautes-températures dans le monde. »

Le développement des techniques de réinjection (et de stimulation des puits) a eu pour conséquence qu’un nouveau type de géothermie a pu voir le jour, par mise en production de roches chaudes profondes. En effet, le plus souvent, les formations géologiques profondes ne sont ni fissurées ni poreuses. Il est dès lors nécessaire de les fracturer artificiellement, puis d’injecter de l’eau que l’on récupère après circulation au contact des roches chaudes. Cette forme d’exploitation, encore largement du domaine de la recherche, est en train de trouver ses premiers débouchés économiques. Notamment dans les zones à gradient élevé (plus de 10 °C par cent mètres) une production d’énergie électrique dans des conditions économiques est en voie d’aboutir. Les expériences menées à Los Alamos (Nouveau-Mexique) entre 1972 et 1992 avec une température de 200 °C à 3 000 mètres de profondeur n’ont pas permis de développer un échangeur artificiel de capacité suffisante. D’autres tentatives ont été faites en Grande-Bretagne, en Suède et au Japon.

Implanté dans un contexte présentant à la fois un fort gradient géothermique et une bonne fracturation en bordure du fossé rhénan, c’est le projet européen de Soultz qui a donné les résultats les plus prometteurs. En outre, le bilan de la géothermie est aujourd’hui positif : progrès techniques à tous les niveaux (techniques de forage et d’intervention sur les forages), lutte contre la corrosion des tubages, amélioration de la productivité des puits, optimisation de la production géothermale et de la dépense en énergie. Aujourd’hui, en France, avec 60 opérations en fonctionnement, la contribution de la géothermie au bilan énergétique national est de l’ordre de 130 000 tep par an, ce qui correspond au chauffage d’environ 150 000 équivalent-logements et à une réduction annuelle des rejets de CO2 dans l’atmosphère de plus de 400 000 tonnes (2).

Dans un contexte dans lequel des évènements tragiques nous amènent à remettre en cause nos choix antérieurs, il est temps de considérer l’énergie formidable de notre planète, non seulement comme une menace, mais aussi comme une opportunité dont nous sommes encore très loin d’avoir la capacité de mesurer les limites, à la différence des énergies sur lesquelles nous avons basé jusqu’à ce jour l’essentiel de notre développement. Aux plans technologique et économique, il est possible de produire la totalité des besoins énergétiques de l’humanité à partir de sources d’énergies renouvelables, comme le montrent les travaux de l’Université de Standford.

Les barrières sont essentiellement politiques et sociales. Les différentes formes d’énergie géothermique connaîtront des développements variés selon les régions en fonction de la connaissance géologique de la ressource, de la nature des besoins, et du niveau de maîtrise des technologies. En France métropolitaine, les recherches et les inventaires réalisés à ce jour montrent que c’est dans le domaine de la production de chaleur pour l’habitat et le tertiaire que le plus d’énergie peut être produite, au point de répondre à la quasi-totalité des besoins. Dans de nombreux pays du monde, en Amérique latine, en Asie du Sud-Est et en Afrique de l’Est en particulier, c’est par contre la production d’électricité qui est le plus à même de contribuer de manière significative au bilan énergétique.

La géothermie produit peu de rejets, c’est une énergie propre qui ne participe pas à la dégradation du climat et qui ne nécessite pas de transport ni de stockage de substances polluantes ou dangereuses. En profondeur, la planète dispose d’un stock de chaleur illimité à l’échelle humaine et, à sa surface, le sol est réchauffé par le rayonnement solaire et la migration des eaux de pluie. Et les quantités d’eau chaude contenues dans les réserves souterraines ne vont pas disparaître à cause des exploitations géothermiques. Au contraire, les quantités d’eau vont se renouveler grâce au ruissellement naturel. Quant à la chaleur, celle-ci provient à 90% du gisement minéral.

1. http://encyclopedie-dd.org (lien cassé).
2. http://www.notre-planete.info

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